On m'a souvent dit que je vivais dans un monde de bisounours, où tout le monde est beau, gentil, mais que j'ai tendance à être un peu trop naïve et à ne pas voir la malveillance là où elle se trouve de façon évidente. Ca a bien sûr été le cas à de multiples reprises par le passé. En réalité, derrière ça, se cache ma tendance à fuir les conflits. Je souris en écrivant cela, car Gandalf, mon chien, est un as dans l'art d'éviter les conflits. Il les évite tellement qu'il peut donner une impression de faiblesse, d'etre un chien qui manque de "rentre dedans", qui ne sait pas se faire respecter. Et pendant un temps, j'ai voulu lui apprendre à être plus franc dans ces cas-là, "apprendre à dire stop" quand c'est nécessaire. Bien sur, ça peut être nécessaire de savoir le dire. Cependant dans certaines situations, je crois qu'on peut aussi faire le choix de ne juste pas rentrer dans le conflit, parce que tout simplement il n'a pas lieu d'être et qu'on n'a pas de besoin d'utiliser son énergie pour ça.
Je pense par exemple au sujet de la concurrence dans mon métier d'éducateur canin. Pour les propriétaires de chiens qui me lisent, c'est un sujet qui vous a probablement été fortement caché, et même entre nous c'est assez tabou, mais pour moi qui, bien que je sois plutôt discrète, fait partie de ce monde et en voit l'envers du décor, je peux voir l'impact qu'il peut avoir et l'énergie qui s'y perd. Et je ne parle pas ici de la grande guerre entre les éducateurs "en positifs" et ceux du "monde traditionnel" mais bien de la multiplication des éducateurs canins qui prônent (à quelques détails près) les mêmes valeurs et qui souhaitent apporter leur pierre à l'édifice dans cet univers.
Lorsqu'on est mordu par la passion de l'éducation canine et de tout ce qui en découle, on devient souvent boulimique de tous les événements qui ont lieu autour de ça et on se retrouve très vite à côtoyer toutes les autres personnes autour de nous qui partagent cela avec nous. On se lie facilement d'amitié avec eux, parce qu'on partage quelque chose qui prend beaucoup de place dans nos vies, mais les choses peuvent changer une fois qu'on décide de passer de l'autre coté car tout à coup, on entre en concurrence avec ces personnes parce qu'on partagerait le même public. Naît alors une peur du manque qui crée une certaine méfiance qui vient malheureusement entacher les relations.
Pourtant, une chose merveilleuse dans notre métier est le fait que la part humaine joue un énorme rôle dans l'équation. On dit souvent ça en parlant de nos clients, mais c'est également vrai dans l'autre sens. Nos clients ne viennent pas uniquement pour leur chien ou nos connaissances, ils viennent aussi pour l'humain que nous sommes, et les affinités de chacun entrent inévitablement en jeu. Il est normal que le courant passe mieux avec moi pour certains, et avec d'autres pour les autres. Et du coup, quelque part, tant mieux qu'il y ait de plus en plus d'offre ! Ça me permettra de pouvoir me centrer sur les personnes à qui mon approche parle le plus, et aux autres de trouver meilleure chaussure à leur pied. Aucun jugement de valeur là-dedans.
Le savoir acquis dans les formations n'est jamais retranscrit tel qu'il a été reçu. On se l'approprie, on y ajoute notre perspective, notre façon de voir les choses, notre façon de les transmettre aussi. C'est un peu comme le jeu du téléphone arabe: on entend une chose, l'information fait son propre chemin dans notre tête, on la perçoit d'une certaine façon, on apprend à la comprendre sous différents angles, on la lie à d'autres infos, certaines choses se perdent, d'autres s'ajoutent et on la transmet ensuite à notre manière,.. Peut-être avez-vous l'impression que c'est négatif, mais je ne le pense pas. Je pense que ce serait se priver d'une grande richesse d'idées et d'évolution que de penser que la seule vraie vérité est la source, et ce serait lui donner plus de crédit qu'elle n'en a, puisque de toute façon, cette source a elle aussi été soumise à toutes ces étapes du processus. Tout ce qui est transmis, l'est avec les biais, les forces et les faiblesses, les façons d'interpréter relatives à la personne qui transmet. C'est ce qui fait que ce métier est aussi passionnant et ce qui fait que la concurrence n'a, pour moi, aucune raison d'être, puisque tout le contenu que je crée est authentique et que celui que ma copine qui fait le même métier que moi, l'est également. Nos façons d'aborder les choses, d'interpréter, d'accompagner nos clients, d'observer les chiens,... Ne seront pas les mêmes, et ce, même si nos formations sont rigoureusement les mêmes, et que l'on partage les mêmes valeurs.
C'est pourquoi, à ce sujet, je suis aujourd'hui convaincue que je n'ai pas besoin d'apprendre à dire stop, ou à contrôler quoique ce soit. Je n'ai pas d'énergie à perdre là dedans, et au contraire, je pense que faire ce choix me grandit et ouvre la porte à beaucoup de richesse d'esprit. Je ne suis pas vraiment dans la fuite de conflit comme on pourrait le croire et comme je le lis souvent chez Gandalf. Je suis simplement sur un sujet qui pour moi n'en est pas un, et je trouve dommage de voir ce qu'il peut attirer pour d'autres. Je vois que pour certains, cette concurrence génère de l'angoisse, de la peur, on ne veut surtout pas heurter les personnes avec qui on partage cette passion alors on se fait tout petit et on prend soin de paraître aussi éloigné que possible du contenu des autres. Ou encore, on se met à contrôler un maximum les choses afin d'éviter de perdre le fruit de notre travail, on fait en sorte de le cantonner dans notre système. Tout ça engendre d'un coté une perte de qualité dans le contenu affiché, parce que la personne n'ose pas se montrer pleinement, ou de l'autre coté une perte d'opportunité de partage de nos valeurs en plus de l'ajout de suspicion qui peut sérieusement entacher nos relations... Heureusement, je sais aussi que je ne suis pas la seule à voir la "concurrence" de cette manière :)
Alors, pour ce sujet, je choisis consciemment et volontairement de ne pas rentrer dans le conflit, parce qu'il n'a pour moi aucune raison d'exister. Je refuse de me comporter par peur de perdre des clients, parce que je sais qu'il y aura des gens aussi qui décideront de venir chez moi, et qu'ils savent pourquoi (ou alors, il sera temps de me reconvertir en éleveuse de chèvres norvégiennes ;-) ). Je suis absolument ravie lorsqu'un de mes élèves va tester un autre éducateur sur une discipline qu'il apprend avec moi car je suis certaine que c'est une opportunité pour lui de voir un autre regard sur le sujet et que cela sera très enrichissant pour lui. Et de la même façon, je suis ravie de recevoir des personnes à mes cours qui souhaitent utiliser ce qu'elles apprennent de moi pour enseigner à leur tour ensuite, car, d'une part, leur implication dans le cours est toute autre et cela rend nos échanges toujours très enrichissants pour moi aussi, et d'autre part, je suis ravie de pouvoir, par le biais de ces personnes, toucher encore plus de gens avec ce que je partage. Et surtout, le simple fait de me positionner de cette manière me fait me sentir infiniment plus légère.