Aujourd'hui on va faire un petit bond dans le temps jusqu’au jour où, Gandalf est ado et doit avoir 6 ou 7 mois et, toujoursdans mon ascension vers l’éducation parfaite de mon toutou, je décide de participer à une balade de groupe, organisée par un comportementaliste de ma région. Si il est comportementaliste, il doit etre un véritable magicien du chien, me disais-je. Il faut avouer que ça fait classe comme nom, « comportementaliste ». Ce jour-là, j’apprends qu’une des participantes a une chienne en fin de chaleurs, et je vois que Gandalf et ses hormones de chien adolescent en ébullition n’ont qu’une idée en tête, aller la voir et se faire un petit rail d’hormones. Ne voulant pas faire de vague, je n’ose pas détacher mon chien, même si la plupart des autres participants a déjà laché son chien, et une fois fatiguée de me faire tirer non-stop par mon jet-ski à 4 pattes, je demande à ce fameux comportementaliste quoi faire. Lui me dit alors, cash, sans aucune forme d’explication, « détache-le ». Convaincue qu’il savait parfaitement ce qu’il disait et qu’il n’aurait qu’un claquement de doigts à faire pour que mon chien revienne, et aussi ravie à l'idée de libérer mes bras, je m’exécute donc et mon chien fonce vers la chienne comme si j’avais enfin laché un élastic tendu à bloc.
Ce jour-là, j’ai eu la peur de ma vie. Car la chienne en question était d’une race de chien de chasse et qu’elle avait l’habitude de partir très loin et très longtemps, et que cette fois-ci, elle l’a fait avec mon petit bébé chien à ses côtés. Pour un chien de chasse, c’est assez classique, mais un chien de berger reste généralement assez proche de son humain et il ne m’était encore jamais arrivé de perdre mon chien de vue en balade. Même quand il me quittait pour aller dire bonjour à un chien, j'avais toujours un visuel. En tout cas la chienne de chasse ayant l’habitude de ça, elle avait également développé pas mal de compétences pour retrouver son chemin et après quelques minutes, on l’a vue refaire surface dans le groupe… sans mon bébé chien, ce qui acheva de déclencher l’alerte générale dans ma tête. J’ai donc passé 30minutes – qui m’ont bien sûr paru être des heures – à m’époumoner pour appeler mon chien, les larmes coulant sur mes joues et mon cœur battant à tout rompre. Le comportementaliste n’avait bien entendu pas prévu ça et a fait de son mieux pour continuer à accompagner le groupe tout en tentant de me rassurer.
Heureusement Gandalf a effectivement fini par retrouver le groupe, il est apparu derrière nous, j’ai aperçu sa silhouette toute floue à travers la demi-tonne de larmes qui avait envahi mes yeux et alors que je l’appelais d’une voix tremblante, je l’ai vu s’arrêter dans sa course, sans pouvoir continuer à avancer. Pour le coup, le comportementaliste a vu juste, mon état émotionnel était si intensément agité que Gandalf ne savait plus comment réagir, il n’osait pas m’approcher. Il m’a alors conseillé très justement de tourner le dos à mon chien et de marcher normalement en regardant devant moi et en respirant. Quelques secondes plus tard, mon petit chien marchait à mes côtés, presque comme si de rien n’était.
Ce jour-là, je ne me rappelle plus du tout de ce qui a pu se passer d’autre. Je savais juste que j’avais un gros travail à faire avec mon chien pour que ça ne se produise plus jamais. Je me suis donc retrouvée à renforcer chaque oreille qui se tournait vers moi (ah, j’avais déjà découvert les joies du clicker-training) en balade, chaque attention que mon chien pouvait me porter était récompensée. Il était hors de question qu’il soit à nouveau lâché sans un contrôle total de ce qui se passait et une absolue certitude que mon rappel fonctionne si besoin. Cet événement m’avait traumatisé et pour me rassurer, j’étais passée dans un contrôle extrême.
J’ai également tiré une grande leçon de cette balade : j’ai le droit, et même le devoir de dire non, même au plus grand des magiciens du chien, quand on me demande de faire quelque chose. Je savais pertinemment que si je lâchais mon chien dans ce contexte, il allait être incontrôlable et pourtant je me suis laissée biaiser par le fait que j’avais toute confiance en les compétences de cet homme qui, avec un titre aussi classe que « comportementaliste », devait forcément savoir ce qu’il faisait bien mieux que moi. Aïe, ça fait mal à l’égo ça aussi.
Aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce que cet homme s’est dit à ce moment précis. Est-ce qu’il a sous-estimé mon ressenti au point de penser qu’une fois la laisse enlevée, bébé chien à sa maman rentrerait la queue entre les jambes en voyant que sa maman avait disparu? Avait-il seulement pris en considération qu’il avait devant lui un ado aux hormones en ébullition qui n’avait jamais vu de femelle en chaleur avant ce jour ? Pensait-il qu’au pire, le chien de chasse reviendrait avec l’ado en question et que donc, on ne courait pas grand risque ? Je ne sais pas. Par contre, je pense que cette fois-là, il a du avoir un beau stress aussi et peut-être que depuis lors, il est plus prudent dans des situations similaires.
Sur un plan plus général, cet épisode a fait partie des nombreux épisodes qui m’ont fait comprendre que non, un super-pouvoir magique de grand manitou n’existe pas et même le plus talentueux des comportementalistes ne peut pas tout savoir sur mon chien qu’il a à peine rencontré. Il ne lit pas dans les pensées de mon chien et il peut toujours se tromper. Et dans tous les domaines, même les personnes les plus talentueuses n’ont pas la science infuse. Alors faisons attention à ne pas foncer tête baissée en faisant une confiance aveugle à la première personne venue qui prétend être un expert dans un domaine quel qu’il soit. Et un vrai expert, de ce qu'il fait, quand on parle de vivant, doit être conscient que il travaille avec du vivant et il y a trop de choses qui rentrent en compte quand on travaille avec du vivant que pour prétendre être capable de savoir exactement ce qu'il va faire. Tu peux t'en douter, tu peux même être dans le bon dans ce que tu imagines, mais il y a plein de choses que tu ne sais pas sur ce chien, ce chat,... Et donc le travail de l'éducateur, le vrai, il doit se faire main dans la main avec l'humain du chien, son gardien, celui qui vit avec. C'est une collaboration entre les 2 qui va permettre d'avancer dans l'éducation parce que celui qui connait, qui est l'expert de ce chien, qui vit avec, ça restera toujours son humain.
D’ailleurs, de ce côté-là on est bien servis dans le monde canin. Aujourd’hui en Belgique en tout cas, n’importe qui peut se lever demain matin en se prétendant éducateur canin, ou même comportementaliste. Il n’y a aucune obligation de formation pour exercer ce métier, même le boulanger du coin pourrait choisir demain de se reconvertir sans passer la moindre formation. Je ne saurais pas dire si ce comportementaliste avait eu ou non une formation canine, et là n’est pas le sujet. Simplement, je me suis gentiment laissée berner par le titre de comportementaliste qu’il s’est donné sans même questionner ce qu’il pouvait signifier pour lui, ou ce qui pouvait se cacher derrière. Et si je peux te donner un conseil aujourd'hui, c'est de te renseigner sur les formations qu'a fait la personne à qui tu demandes un accompagnement.
En tant que l’éduc que je suis devenue depuis, je repense très souvent à ce jour lorsque je coache un élève. J’insiste beaucoup sur le fait que nul n’est mieux placé pour anticiper ce qu’un chien va faire que la personne qui le côtoie au quotidien. Mes expériences et le nombre de chiens que j’ai pu voir dans cette situation avant, c'est une aide bien sur, mais aussi un gros paquet de biais, pour moi comme pour n’importe quel professionnel du chien qu’il pourrait un jour rencontrer, et pour moi il est important pour avancer de toujours prendre en compte leur ressenti personnel. « Si tu le sens pas, on ne le fait pas », pas besoin d’explication. En fait, je ne fais que dire ce que j’aurais aimé que cet homme dise ce jour-là avant que je ne lâche mon chien. Je suis reconnaissante aujourd’hui d’avoir vécu ça pour pouvoir penser à éveiller l’esprit de tous mes élèves sur le fait de ne jamais placer mon jugement, ou même celui d’un autre professionnel, aveuglément au-dessus du leur.
Et que le ressenti de mon élève soit juste ou pas, ce n'est pas la question. Il y a une autre dimension dont je n'ai pas encore parlé, c'est que même si je suis vraiment certaine que le chien va réagir de telle ou telle façon, et que je sais que mon élève peut, par exemple, lâcher son chien, ou quoique ce soit d'autre dont il serait question, si l'humain ne le sent pas, c'est que l'humain n'est peut être pas prêt. Et ce qui est à travailler n'est peut être pas le chien, mais l'humain. Et oui, je suis éduc canin, je ne sais peut être pas accompagner cette personne à ce moment-là, par contre c'est important pour moi, dans ce métier qui semble plus orienté chien, d'être conscient que l'humain doit être prêt aussi, et si il ne l'est pas, quelle que soit la raison, on ne peut pas lancer l'action du coté du chien.
Parce que si l'humain se force alors qu'il n'est pas prêt, il va transmettre à son chien des émotions qui pourraient changer la donne et déclencher une situation qui pourrait être problématique. Et en ça, pour moi, c'est impossible de passer outre l'humain, même si on est éducateur canin, on est obligé de prendre en compte, même si on a pas forcément toutes les clés pour l'accompagner lui tout seul dans certaines problématiques. Il faut être conscient de ces limites-là, et pouvoir rediriger au besoin, ou au moins prendre en compte pour qu'il n'y ait pas d'accident qui se déclenche avec le chien du fait de cette problématique.
J'ai un peu dévié du sujet principal mais il me semblait important de t'expliquer tout ça pour que tu fasses un choix éclairé lorsque tu as besoin d'un professionnel, quel qu'il soit. Si un jour, un professionnel te demande de faire quelque chose que tu ne sens vraiment pas, penses à mon histoire et rappelle-toi que oui, tu as le droit de dire non. Et si tu sens que ton ressenti n'est pas pris en compte ou rejeté, dis-toi bien que c'est un gros red flag. Comprends moi bien ici : il peut arriver que la personne qui t'accompagne vers un objectif te pousse un peu hors de ta zone de confort, te bouscule un peu. Il a peut être une bonne intention en faisant ça, mais la décision finale de l'acte reste la tienne, et tu dois toujours avoir la possibilité de pouvoir dire non si tu ne veux pas.